Le calendrier politique récent en Roumanie a mis en lumière la singularité de la Transylvanie, une région au coeur du pays qui s’est toujours démarquée de ses voisines.
En 2025, de nouvelles élections présidentielles se sont tenues en Roumanie : la nécessité de ces dernières, pourtant hors calendrier, était survenue après l’invalidation du résultat des suffrages de 2024. Cette année-là, c’est le candidat ultra-nationaliste pro-russe d’extrême droite Călin Georgescu qui était arrivé en tête du premier tour avec près de 23% des votes. Rapidement, une commission d’enquête avait dénoncé une ingérence russe et demandé une reconduite des élections. L’année suivante, et alors qu’il avait été remarquablement absent des campagnes, c’est George Simion, un autre candidat d’extrême droite qui est arrivé en tête du premier tour. Il a finalement perdu le 18 mai face au candidat pro-européen Nicușor Dan.
Divers facteurs peuvent expliquer ce revirement de situation entre les deux scrutins de mai 2025, notamment une mobilisation plus importante de la population roumaine craignant l’arrivée de dirigeants russophiles. Si l’on regarde la répartition des voix favorables à Nicușor Dan, on s’aperçoit bien vite que c’est en Transylvanie, et plus précisément dans le judet de Harghita, que ce dernier a fait le meilleur score où il a remporté plus de 90% des scrutins (alors qu’il n’y partait pas favori au premier tour). Un événement survenu durant l’entre-deux-tours semble avoir catalysé cette réponse des citoyens : le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, a discrètement affiché son soutien à Simion. Il faut dire qu’en plus de leurs positions anti-européennes ou leurs politiques migratoires, les programmes des deux hommes se rejoignent en de nombreux points, que ce soient leurs visions nationalistes ou leurs promotions des « valeurs chrétiennes ». Mais c’est précisément au regard de ces deux derniers points que la Transylvanie constitue une pierre d’achoppement.
Une principauté contestataire
Avant de devenir roumaine au lendemain de la Première guerre mondiale, cette région située au centre du pays appartenait à la Hongrie. Longtemps dotée d’une relative autonomie vis-à-vis de Budapest, la principauté de Transylvanie est un carrefour où se croisent de nombreuses populations : bulgares, roumaines, germaniques ou hongroises (sicules). La principauté se fait notamment remarquer au XVIe siècle lorsqu’à sa tête, Etienne Bocskaï défie la couronne hongroise en se faisant le défenseur d’une minorité protestante persécutée. Dès lors, la principauté devient terre d’accueil pour les Hongrois calvinistes et luthériens. À la fin du XVIIe siècle, les recensements estiment que 90% de la population transylvaine est protestante (majoritairement réformée) : un contingent largement alimenté par les guerres de religions dans la Hongrie voisine. Aux termes de la Première guerre mondiale, l’Empire Austro-hongrois qui avait combattu aux côtés des Allemands se fait démembrer lors du Traité du Trianon. Georges Clémenceau, grand architecte de ces négociations, redessine les frontières en Europe centrale : Autriche et Hongrie deviennent deux pays indépendants, et cette dernière se retrouve amputée de 60% de ses terres, notamment de la Transylvanie, dont écope la très orthodoxe Roumanie.
Au cours du XXe siècle, les divers régimes roumains tentent d’unifier le pays, mais finissent par se heurter à la Transylvanie qui demeure un foyer contestataire où la population revendique sa singularité ethnique, linguistique et confessionnelle. En 1989, c’est notamment un pasteur calviniste transylvain, László Tőkés, qui est à l’origine de l’arrestation puis l’exécution du couple Ceaușescu, au pouvoir depuis 1965. Même la très stricte dictature de terreur instaurée par Nicolae Ceaușescu n’est, en effet, parvenue à éteindre la foi dans le pays, et certainement pas en Transylvanie, où elle est devenue un vecteur identitaire face à un régime désireux de gommer toutes les nuances de ses populations.
À ce jour encore, la Transylvanie constitue un objet de contentieux entre Budapest et Bucarest. En 2010, le Parlement hongrois adopte une loi garantissant la double citoyenneté aux Magyars transylvains, leur permettant ainsi de prendre part aux élections hongroises.
Orbán, Simion et la Transylvanie
C’est avant tout Viktor Orbán qui va, le premier, bénéficier de cette modification : lui-même issu de l’Église réformée, il affirme à de nombreuses reprises son soutien aux Hongrois de Transylvanie et souligne le lien confessionnel qui les unit. C’est loin d’être le même son de cloche du côté de George Simion : farouche orthodoxe, il défend, quant à lui, une Roumanie unie par l’Église, la langue et le droit. Ses positions ont été perçues comme des menaces par les Hongrois de Transylvanie ; l’annonce du soutien du premier ministre hongrois à Simion a donc été vécue comme une trahison par de nombreux Transylvains qui ont voté en masse pour Nicușor Dan, le maire pro-européen de Bucarest, au second tour.
Conclusions
En plus des tensions entre Hongrie et Roumanie, ces récents événements ont permis de remettre sur le devant de la scène géopolitique les problèmes posés par les frontières en Europe centrale où ils se manifestent notamment par des tensions confessionnelles. C’est le lien entre foi et identité nationale qui a, dans des pays au passé communiste, contribué à redéfinir la place du religieux dans le discours public actuel.
Par Diane Niquin
